Tendances actuelles de l’économie : Analyse approfondie avec Eric Lascelles

Avril 2017 - Transcription

Quels sont les facteurs à l’origine de la récente progression des actions ?

Eric Lascelles:

Nous pensons que la grande vigueur du marché boursier depuis le milieu de l’année dernière tient à deux raisons, dont l’une est essentiellement de nature économique. Comme la tendance de l’économie mondiale s’est considérablement améliorée depuis le milieu de 2016, le marché boursier a logiquement réagi avec enthousiasme. Les bénéfices se sont aussi accrus. Il s’agit évidemment du principal facteur, du moins jusqu’à l’automne dernier. Il est apparu depuis un second élément moteur dont le caractère est beaucoup plus spéculatif et qui a trait à l’élection aux États-Unis. La nouvelle administration Trump suscite un fort engouement, en particulier dans le milieu des affaires, en raison de la perspective de l’adoption de mesures de stimulation budgétaire et, surtout, de baisses d’impôt des entreprises. De fait, si les entreprises se préoccupent notamment de l’économie, elles attachent avant tout de l’importance à leurs bénéfices. Or, la réduction de l’impôt des entreprises est un moyen direct d’accroître leurs bénéfices, et la perspective d’une telle réduction se fait passablement sentir sur le marché boursier.

À notre avis, ce sont les deux principaux éléments moteurs. En ce qui a trait au marché canadien, la reprise des ressources est aussi un facteur pertinent. De manière générale, toutefois, retenons la tendance mondiale et l’optimisme suscité par l’accession à la présidence de M. Trump.

Si nous nous tournons vers l’avenir, nous pouvons évidemment nous demander si cette progression se poursuivra ou non. Cette question, avouons-le, reste ouverte. Nous sommes portés à croire que le marché pourrait encore monter. Nous pensons que cette reprise économique est essentiellement réelle et qu’elle pourra, du moins dans une certaine mesure, se poursuivre. Par ailleurs, l’administration Trump pourrait accélérer légèrement la croissance, du moins à court terme, ce qui favoriserait aussi les actions. De plus, nous reconnaissons que la progression n’est pas seulement le fait du marché boursier, mais qu’elle s’étend aussi aux autres actifs à risque. Ainsi, les actions se sont appréciées, mais les écarts de crédit se sont amenuisés, les taux des obligations d’État se sont accrus et le dollar américain s’est renforcé. Ces éléments sont tous étroitement liés.

Quelles sont les conséquences potentielles de la montée du populisme ?

Eric Lascelles:

La montée du populisme est indéniablement la tendance qui a non seulement marqué les années 2016 et 2017, mais qui devrait aussi sans doute se poursuivre pendant longtemps. Elle entraîne vraiment un profond changement quant aux types de gouvernement qui accèdent au pouvoir. Nous pouvons affirmer d’entrée de jeu que ce changement crée une grande incertitude dans le monde. Comme il s’agit d’une idéologie et d’une façon de gouverner qui ne s’étaient pas vues, du moins dans les pays développés, depuis un certain temps, le mouvement populiste entraîne d’abord une très forte incertitude, en particulier sur le plan des politiques. À quoi ressembleront, entre autres, les taux d’imposition et les tarifs ? À mon avis, c’est l’une des principales conséquences de la montée du populisme.

Évidemment, nous sommes encore en train d’analyser les conséquences du vote pour le Brexit au Royaume-Uni, ainsi que de l’élection présidentielle aux États-Unis. En général, on peut affirmer que les politiques populistes ont, à long terme, tendance à ralentir légèrement la croissance économique et à augmenter légèrement l’inflation. Voilà qui n’est pas très intéressant. Pour le moment, le marché ne s’en préoccupe pas vraiment parce que ces politiques comportent aussi, dans certains cas, des éléments attrayants à court terme. Cependant, ceux-ci constituent aussi pour nous des sources de préoccupation à long terme.

Si nous nous projetons encore plus loin dans l’avenir en nous demandant si d’autres régions du monde risquent de s’engager sur la voie du populisme, l’Europe continentale s’impose rapidement à notre esprit, tout simplement du fait que plusieurs élections s’y tiendront en 2017. Nous savons que le courant populiste a le vent dans les voiles en Europe. De plus, les enjeux électoraux y sont très importants à cause, bien sûr, du risque d’éclatement de la zone euro. Bien qu’il y ait une faible probabilité que cette éventualité s’avère, puisque, selon le scénario le plus probable, les élus centristes conserveraient le pouvoir à l’issue de ces élections, le risque lié au populisme existe aussi clairement en Europe.

Quelle incidence auront sur les marchés les politiques envisagées par le gouvernement Trump ?

Eric Lascelles:

Quand nous pensons aux politiques envisagées par le gouvernement Trump, nous notons un véritable contraste entre les conséquences à court terme et celles à long terme. À court terme, nous pouvons dire que l’engagement à réduire les impôts des particuliers et des sociétés, la hausse des dépenses militaires et des investissements en infrastructures, et une certaine forme de déréglementation favorisent l’économie. Ces mesures pourraient fort bien entraîner une accélération de l’économie américaine en 2017 et en 2018. Nous observons donc une croissance supplémentaire à court terme.

Le protectionnisme constitue toutefois l’aspect qui nous préoccupe à long terme. Nous croyons que des tarifs douaniers, un ajustement des taxes à la frontière ou toute autre forme de frais pourraient nuire à la circulation des biens et des services d’un côté à l’autre de la frontière. Nous savons aussi qu’il existe une volonté de limiter l’immigration aux États-Unis. Ces deux types de mesures tendent à freiner la croissance économique.

Vu la grande incertitude qui entoure actuellement chacune des politiques envisagées, nous croyons, du moins pour le moment, que la croissance de l’économie américaine s’accélérera cette année et l’année prochaine. Nous sommes par contre d’avis qu’elle commencera tôt ou tard à ralentir et à progresser un peu moins rapidement que la normale à long terme. Nous avons l’impression que le nombre de conséquences négatives pourrait dépasser les aspects positifs à long terme, mais ce n’est vraiment pas le cas en ce moment.

Quelles sont les perspectives pour les taux d’intérêt aux États-Unis et au Canada ?

Eric Lascelles:

La Fed a déjà amorcé un certain resserrement en 2015 et en 2016. Il semble qu’elle est maintenant disposée à accélérer quelque peu la cadence en 2017 et en 2018. Elle augmente les taux. Ce relèvement se traduit aussi dans les taux obligataires. Nous croyons qu’il s’agit en fait de la bonne décision. Lorsque vous examinez de près l’économie américaine, vous remarquez qu’elle a clairement réalisé d’importants progrès au cours des dernières années. Le taux de chômage se situe maintenant sous la barre des 5 %, ce qui constitue un succès à tous les points de vue. Si la Fed souhaite protéger les États-Unis d’un excès d’inflation, ce que visent principalement les banques centrales, elle doit véritablement commencer à augmenter les taux.

Nous croyons qu’elle est sur la bonne voie. Heureusement, les marchés accueilleront plutôt bien ces hausses puisqu’il s’agit de la chose à faire et que ce n’est pas une erreur de politique. La banque centrale tente en effet de maintenir l’économie américaine sur la meilleure trajectoire de croissance possible. Nous sommes donc d’avis que les marchés ne devraient pas trop mal réagir à cette mesure. Cela représente certainement la fin d’une ère en quelque sorte, après des années marquées par des mesures de stimulation monétaire exceptionnelles.

Si nous examinons la situation du Canada, nous nous rendons compte qu’elle est en fait quelque peu différente. La probabilité d’une hausse de taux au Canada n’est pas très élevée en 2017, surtout en raison du fait que l’économie du pays a évolué de façon très différente récemment. Le choc des ressources a durement éprouvé le Canada et lui a fait perdre du terrain. Le pays n’est vraiment pas encore rendu au point où il doit resserrer la politique. Le Canada doit d’abord réaliser des progrès, mais il faut reconnaître que ces avancées sont assorties de risques. Le protectionnisme américain représente en effet une réelle menace pour le Canada, compte tenu de l’ampleur de la relation commerciale qui unit ces deux pays. Nous croyons que le marché canadien du logement commence à s’essouffler et qu’il ne fournira peut-être plus un apport à la croissance aussi important qu’avant.

Les mesures de stimulation budgétaire sont-elles sur le point de remplacer les mesures de stimulation monétaire à l’échelle mondiale ?

Eric Lascelles:

La dernière décennie a été marquée par les mesures de stimulation monétaire, qui commencent peu à peu à prendre fin. La Fed relève actuellement les taux et il s’agit de la banque centrale phare à l’échelle mondiale. Nous pourrions affirmer que l’enthousiasme est un peu moins grand ailleurs dans le monde, l’Europe et le Royaume-Uni prenant timidement quelques mesures visant à mettre fin à une partie de leurs mesures de stimulation extrêmes. Il est toutefois juste de dire que la période où les mesures de stimulation monétaire étaient à un sommet commence peut-être à s’estomper ; nous croyons donc qu’un petit nombre d’entre elles prendront fin. Reste à savoir si les mesures de stimulation budgétaire prendront le relais.

La vraie réponse est oui et non. Elle varie réellement en fonction du pays visé. Aux États-Unis, les mesures de stimulation monétaire prennent très clairement fin pour laisser place aux mesures de stimulation budgétaire ; il s’agit de l’un des volets du plan à court terme du gouvernement Trump. Nous pouvons dire que des mesures de stimulation budgétaire supplémentaires seront aussi mises en place au Canada.

Toutefois lorsque nous examinons la conjoncture mondiale et l’apport fourni par les mesures de stimulation budgétaire à cette échelle, nous constatons que cet apport est en réalité plutôt neutre, voire légèrement négatif. Nous ne pouvons donc pas vraiment affirmer qu’au net, un grand nombre de nouvelles mesures de stimulation budgétaire seront instaurées sur la planète. Ce contexte pourrait notamment entraîner une légère décélération de la forte croissance observée récemment, car nous perdrons une source de stimulation qui ne sera pas remplacée.